ROBERT MALLET-STEVENS & L’UNION DES ARTISTES MODERNES
Troisième partie

Les années 1930
En juin 1930, l’Union des artistes modernes organise son exposition inaugurale, au sein du musée des Arts décoratifs de Paris, dans l'aile Marsan du palais du Louvre. Le premier d’une série d’évènements qui se tiendront chaque année dans différentes villes, dont l’Exposition universelle de Bruxelles en 1935.
Après l’euphorie des Années folles, une décennie d’instabilité politique, sociale et économique s’est ouverte en Occident. Le krach de la bourse de New York au mois d’octobre 1929 a provoqué une crise économique de grande ampleur, dont les répercussions se font sentir jusqu’en Europe. La France se trouve touchée à partir du second semestre de 1930, alors même que le pays traverse une période d’importantes transformations. L’appauvrissement de ses campagnes a déjà poussé une part importante de sa population à rejoindre les villes. Mais c’est désormais son économie toute entière qui ne se voit plus compétitive. Les faillites se multiplient, le chômage touche désormais toutes les catégories sociales.
En octobre 1935, Robert Mallet-Stevens accepte sa nomination en qualité de directeur de l'école des beaux-arts de Lille. Ce poste représente pour lui l’opportunité de transmettre aux nouvelles générations les principes qui le guident depuis le début de sa carrière. Il s’implique dans la refonte des enseignements et déploie un programme ambitieux qui défend deux notions essentielles pour lui : le modernisme, mais aussi l’hygiénisme. Un courant de pensée hérité du XIXe siècle qui vise à améliorer les conditions de vie des populations, en particulier dans le domaine de la santé, par l’aménagement de l’espace et l’urbanisme. Ce qui ne va pas sans rappeler l’approche de Mallet-Stevens lors de la conception de la villa Cavrois, où l’architecte avait accordé une place importante à l’aération du bâtiment, à ses équipements sanitaires, ainsi qu’à l’ensoleillement de ses espaces intérieurs.
En mai 1936, la victoire du Front populaire aux élections législatives fait figure d’électrochoc. Dès son arrivée au pouvoir, la coalition politique de gauche instaure d'importantes réformes sociales, dont la réduction du temps de travail à 40 heures par semaine et la création de deux semaines de congés payés. Ce nouveau gouvernement choisit d’offrir une place de choix à l’Union des artistes modernes dans le cadre de l’Exposition internationale des arts et des techniques appliqués à la vie moderne de 1937. Alors que Robert Mallet-Stevens avait démissionné du comité préparatoire, il se voit confier la réalisation de cinq ouvrages, dont deux symboles importants : les pavillons de la Solidarité nationale et de l’Hygiène. Trois autres bâtiments lui sont commandés par des établissements industriels, notamment un spectaculaire palais de l'Électricité et de la Lumière.
Dans le sillage de la Grande Dépression, de ses répercussions économiques, politiques et sociales, l’ambiance n’a cependant cessé de s’assombrir en Europe au cours de la décennie 1930. Les famines soviétiques font plus de six millions de morts entre 1931 et 1933. Adolf Hitler accède au pouvoir en Allemagne, à la tête du Parti national-socialiste des travailleurs allemands, en 1933. Joseph Staline mène ses Grandes Purges en URSS dès 1937. Et la guerre civile espagnole se conclue par la victoire du camp nationaliste, mené par le général Franco, en avril 1939.
Une période de tensions qui culmine avec l’invasion de la Pologne par l’Allemagne en septembre de la même année, immédiatement suivie par l’entrée en guerre du Royaume-Uni et de la France. Robert Mallet-Stevens se voit ainsi contraint de démissionner de son poste aux Beaux-arts de Lille au mois d’octobre 1939, afin de s’éloigner du nord de la France et du conflit qui se rapproche. Il choisit de se réfugier avec sa famille en zone libre durant l’Occupation, pour protéger sa femme, Andrée, née Léon-Bernheim, des persécutions qui frappent la population juive. Bien que malade, il continue cependant à travailler pour les magasins de chaussures Bally jusqu’à son décès à Paris, le 8 février 1945, de la maladie de la pierre. « Un comble pour un architecte », se serait-il moqué avec l’humour d’un dandy. Selon sa propre volonté, ses archives sont détruites après sa mort, sans qu’il ne daigne laisser d’explication à son geste.
De fait, il faudra compter sur l’implication de passionnés, tels que le collectionneur Michel Souillac, pour reconstituer une documentation aussi inédite que précieuse. « Michel accordait beaucoup d’importance à ce travail », se souvient Xavier Gellier. « Suite à son implication dans la succession Mallet-Stevens, il avait conservé l’ensemble de sa correspondance avec madame Mallet-Stevens. Dont l’inventaire des meubles, tous répertoriés et numérotés, mais aussi des photographies et des coupures de presse rares, réunissant ainsi des archives uniques au sein d’une série de classeurs qu’a tenu à me transmettre son fils, Pascal Souillac. Un trésor à la valeur sentimentale inestimable que je garde précieusement dans mon bureau. »
Suite et fin de l’Union des artistes modernes
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Union des artistes modernes se trouve donc privée de son premier président. Elle perd de son influence. Ce qui n’empêche pas ses membres de participer à la reconstruction du pays. En 1944, René Herbst convoque une assemblée générale pour établir un plan d’action. André Lurçat et Jean Badovici se voient engagés par le Ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme. L’équipe de l’architecte Auguste Perret prend en charge la réédification du centre-ville du Havre entièrement rasé par les bombardements alliés. Originaire de Nancy, Jean Prouvé propose des maisons démontables pour les sinistrés de Lorraine. Ce qui ne lasse pas de nous interroger sur la vision conceptuelle et créative que Robert Mallet-Stevens n’aurait pas manqué de proposer dans le cadre de cet effort de relève nationale. Mais aussi sur la reconnaissance critique et publique, soit la postérité que lui aurait amené cette implication.

L’Union des artistes modernes reprend enfin ses activités publiques avec l’exposition Formes Utiles en 1949 qui présente le travail de Sonia Delaunay et de Fernand Léger, ainsi que de nouveaux venus, dont le peintre, sculpteur, graveur et céramiste catalan Joan Miro et le sculpteur et peintre américain Alexandre Calder, mêlé à des objets du quotidien. Devant le succès de cette exposition, le Salon des arts ménagers propose à l’UAM de présenter tous les ans une sélection d’objets usuels et domestiques produits par l’industrie française, à la fois « modernes » et financièrement accessibles.
Un rapprochement qui provoque une scission en interne, de nombreux membres du groupe ne se reconnaissant plus dans ces activités. Formes Utiles n’en participe pas moins à un embellissement du cadre de vie dans le contexte difficile de l’après-guerre, alors que la France se trouve en plein redressement économique. L’Union des artistes modernes finit par s’étioler et disparaîtra officiellement en 1958. Les expositions Formes Utiles perdureront jusqu’en 1969, année du lancement du Centre de création industrielle, depuis fusionné avec le musée national d'Art moderne.

L’héritage de Robert Mallet-Stevens
Architecte adulé en son temps, Robert Mallet-Stevens sera mal compris par la postérité. Contrairement à son contemporain, et quelque part rival, Charles-Édouard Jeanneret, dit Le Corbusier, il tombera durant de longues années dans l’oubli. Nombre de ses réalisations ont été modifiées, démolies ou longtemps laissées à l'abandon comme la villa Noailles. Ou encore, comme ce fut le cas de la villa Cavrois, saccagée par des récupérateurs de matériaux, avant que le ministère de la Culture ne décide de sa réhabilitation en 2004 pour une réouverture au public en 2015.
Le centenaire de la naissance de Mallet-Stevens donne lieu à un premier hommage, sous la forme d’une exposition qui se tient dans les salons de la mairie du XVIe arrondissement parisien, en octobre 1986. L’évènement se voit accompagné par la parution de Rob. Mallet-Stevens : architecture, mobilier, décoration, un ouvrage collectif présenté par la Délégation à l'action artistique de la ville de Paris et préfacé par Jacques Chirac, alors Premier ministre de François Mitterrand et maire de la capitale.
Il faudra néanmoins attendre le printemps 2005 pour que le Centre Pompidou organise enfin une grande retrospective consacrée à son oeuvre, lui rendant ainsi sa place à la fois emblématique et singulière dans l'histoire de l'architecture moderne. En insistant sur l’étonnante pluralité de ses activités qui lui aura permis d'aborder toutes les dimensions de la modernité, où cohabitaient artisanat et industrie dans les expériences construites. À cette occasion, le quotidien Libération écrit : « Pourquoi Mallet-Stevens, un des fondateurs et patrons de l'Union des artistes modernes (UAM) créée en 1929, a-t-il été quasi oublié après-guerre ? Tout juste retrouvé par quelques collectionneurs, puis classé par l’État, à partir des années 80. Et c'est seulement aujourd'hui qu'il suscite une grande exposition. »

Dès 1911, Robert Mallet-Stevens avait laissé paraître ses préoccupations les plus profondes dans un article intitulé « L’Art contemporain » pour la revue Le Home : « À notre époque où l’existence est sans cesse bouleversée par le mouvement incessant, agitée par une activité toujours croissante, à notre époque dont la devise devrait être ''plus vite'', il est bon de retrouver, pendant quelques instants, dans la maison qu’on aime, un peu de beauté et un peu de rêve. » Un humanisme qui semble avoir échappé à bon nombre de critiques de l'architecture et des arts décoratifs, et dont on ne saurait trop souligner l’évidente modernité jusqu’à aujourd’hui et la période d’accélération croissante que nous connaissons. Ce qui ne manque pas de nous interroger sur ce que l’esprit singulier de Mallet-Stevens ferait de notre époque, de son chaos et des possibilités dont elle regorge.
« Robert Mallet-Stevens était avant tout un grand moderniste, constamment à l'avant garde », résume Xavier Gellier. « S’il vivait de nos jours, il s'intéresserait aux technologies de pointe, aux intelligences artificielles génératives, aux matériaux de construction les plus novateurs, comme le béton cellulaire, les fibres de carbone ou les nanomatériaux. Et n’oublions pas non plus que Mallet-Stevens faisait partie de la jet-set. Toujours très élégant, il fréquentait les élites artistiques, mais aussi économiques de son époque. » Et de conclure, avec un sourire : « Aujourd’hui, Robert Mallet-Stevens aurait sans doute fait partie de l’entourage de Xavier Niel, de Steve Jobs, etc. Il serait probablement en train de concevoir le nouvel habitat nomade d’un milliardaire américain, de dessiner de nouveaux véhicules futuristes ou encore d’imaginer l’aménagement intérieur des prochaines fusées de la NASA ou de l’Agence spatiale européenne. »
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